Arthur Keller

Ingénieur, auteur, conférencier et explorateur de voies de résilience.

La multiplication inédite, depuis quelques années, d’études rigoureuses d’auteurs réputés qui concluent en la possibilité, voire en l’inéluctabilité, et souvent en l’imminence, d’un effondrement total ou partiel du système biosphère-anthroposphère, suffit à elle seule à faire entrer l’hypothèse de l’effondrement dans le champ des scénarios crédibles. Toute personne honnête, rationnelle, humble et rigoureusement documentée ne peut qu’admettre le caractère désormais plausible d’un grand dévissage général à court terme.

Contrairement à ce que les idéologues et adeptes du « no limit » ou du « développement durable » insinuent, intégrer dans sa vision du monde cette plausibilité de l’effondrement n’est en aucun cas faire acte de croyance ou d’idéologie, de superstition ou de pessimisme. Bien au contraire, l’analyse la plus objective permet d’aboutir à cette conclusion : l’éventualité d’une faillite proche, rapide et totale de tout ce qui nous permet de survivre en tant qu’espèce est officiellement entrée dans l’espace des potentialités.

Si l’humanité sait se mobiliser de façon responsable, l’heure est venue de le prouver : c’est acte de bon sens et de sagesse que de se préparer modestement à ce possible choc, c’est aussi acte de conscience et de respect car les implications de l’impréparation nous dépassent dans l’espace et le temps. C’est d’un sursaut de décence qu’il est question, pour sortir du dédain qu’on affiche trop complaisamment pour les choses les plus essentielles. Nous avons abandonné la gestion de ces dernières à une macrostructure industrielle qui flirte aujourd’hui avec des limites structurelles qu’on nie et escamote en dépit du bon sens.

C’est volontiers avec supériorité qu’un siècle plus tard l’on juge la prétention du Titanic. Comme ces hommes-là étaient simplets dans leur mégalomanie ! Cependant, dans toute son arrogance techno-exaltée, le navire qui se voulait insubmersible avait tout de même eu le bon sens élémentaire de prévoir quelques canots. Aujourd’hui, l’humanité tout entière semble avoir atteint un tel niveau de suffisance qu’elle n’a prévu nul dispositif de sauvetage, nul plan B, nul rêve de secours.

On va, toujours plus vite et toujours plus insouciants, vers l’inconnu, vers cet effondrement peut-être, vers l’espace flou des plausibles. Et c’est sans exiger de preuves impossibles, c’est dans cette indétermination de ce qui sera, loin des fabrications de certitudes, qu’il nous faut entreprendre de concevoir une approche raisonnée de l’anticipation. Voilà selon moi ce que propose Adrastia. Et le fait qu’une si limpide initiative soit encore novatrice est en soi un tragique constat.

Adrastia, c’est la démarche lucide qui consiste à faire repasser le rationnel au dessus de l’irrationnel et la modestie au dessus du triomphalisme dans notre appréhension collective de l’avenir, et à proposer une vision utile et applicable de la transition. Une démarche qui, à l’antipode des tentatives d’évitement, prend sa source dans le courage d’affronter jusqu’aux plus inimaginables des possibles afin d’assumer les responsabilités que nos gestionnaires n’assument pas, en posant enfin les bases d’itinéraires collectifs de moindre pénibilité.

Parce qu’il a bien fallu que quelqu’un quelque part daigne envisager l’inconcevable pour qu’il y ait quelques canots sur les ponts du Titanic, et quelques survivants pour témoigner. Témoigner que notre vulnérabilité est d’autant plus critique qu’on s’imagine invincibles.

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